Alimentaire, mon cher Watson

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Vous me connaissez, je suis une femme qu’en a plus dans le calbute que bien des mecs. Y’a pas grand-chose qui m’effraie. Avec toutes les horreurs que vous m’envoyez dans vos courriers, je pensais avoir touché le fond du fond, mais Isabelle Saporta, elle m’a retournée l’estomac. Le régime Dukan à coté c’est de la pisse de sansonnet. C’est bien simple depuis que j’ai commencé Le Livre Noir de l’Agriculture, j’ai même du mal à avaler une biscotte par jour. Merci Isabelle, rien qu’à la lecture de ce bouquin, j’ai perdu 5 kg.

Les 87 premières pages sont consacrées au porc. Et purée de ta mère, même dans un roman très noir, tu pourrais pas trouver ce qu’elle décrit. Qui vivra verrat, comme on disait à aux-truies. Si à la suite de ça, t’arrives à becqueter un sandwich parisien (jambon-beurre), c’est que t’es inconscient, stupide ou drogué au mac-do. Et puis dans les pages suivantes, arrive le maïs omniprésent dans nos campagnes qui déséquilibre de plus en plus notre alimentation, sans oublier son copain le soja OGM importé à grands frais alors que nous devrions nourrir nos troupeaux localement.

Bon on se dit : ok, je vais diminuer la viande et plus bouffer de pain. Mais dès la page 129, c’est la patate, légume roi de nos cantines, resto et tablées familiales qui se fait dégommer. Et la tomate, cette pomme d’amour, est nourrie 365 jours par an au goutte à goutte. Quant aux pommes, elles reçoivent, chaque année, plus d’hormones qu’une gynéco n’en prescrit pendant toute sa carrière à ses patientes pré-ménopausées. Et je vous passe l’eau. Je comprends mieux pourquoi les Bretons boivent plus de pinard que de flotte. Pas cons les joueurs de binious. Bevet Breiz ! Même le pain qui fut la nourriture de base de nos pays est composé de plus d’additifs chimiques que de blé… Vous dire !

Et pourtant, Isabelle Saporta explique qu’il faudrait peu de choses pour remettre de l’ordre dans cette filière agricole. Mais les industriels et les grandes surfaces réclament chaque année plus de profits. Et tant pis pour les paysans, l’environnement et notre santé.

Un livre à lire absolument pour ne pas rester un vrai con-sommateur.

Mona pas faim. Et vous ?

Sang dessus dessous

Au moyen-âge, des ribambelles de cochons se baladaient dans les villes et leurs rapports avec les humains étaient compliqués. Souvenez-vous de la mort du Dauphin en 1131. Remémorez-vous les procès envers truies et porcs… De nombreux rois et échevins décrétèrent l’interdiction d’errance pour ces animaux. Malgré tout, les pourceaux étaient toujours en liberté dans rues et ruelles.

Mona à la saignée

Or un des traitements médicaux les plus en vigueur en ce temps là, était la saignée. Ce prélèvement pratiqué par les barbiers, ancêtres de nos chirurgiens, était considéré comme bon pour quasiment tous les maux. Mais que faire du sang ainsi pompé à leurs patients ? Un règlement dans certaines cités leur interdisait de posséder des porcins, de verser le sang dans les rivières ou de le déposer dans des lieux ou les gorets pourraient s’en nourrir. Pour que le précieux liquide, symbole de vie ne finisse pas en charcuterie, on institua même des terrains consacrés uniquement au versement des liquides provenant des saignées et autres opérations effectuées par lesdits barbiers. Ainsi, à Paris, la «Place du Sang»  se trouvait sur l’actuelle rue Molière.

Difficile ma Chère Mona de faire une transition, mais il faut bien boire un coup. Un petit rosé de saignée ? Non la période hivernale ne s’y prête pas. Je vous propose un Vacqueyras : Le Sang des Cailloux 2008. Oh, là, y a du vin !  Bravo Serge.

Un pourceau pris pour sot

Saint Antoine, figurine réalisée par Gérard Noirfalise

Mona vous a parlé hier du bacon. Un article génial comme d’habitude. Bravo, mon Petit. Il m’a semblé intéressant de compléter avec un texte sur cet animal dont on dit que tout est bon de la tête aux pieds.

Au Moyen-âge, chacun tentait de faire un peu d’élevage. Les habitants des villes élevaient au moins chez eux un ou deux cochons, que, durant la journée, ils lâchaient dans les rues où ils errent et se nourrissent de ce qu’ils trouvent. Ils dévorent les déchets. Ils s’attaquent parfois à des enfants. On doit même clôturer les cimetières pour empêcher les porcs de déterrer les morts… Ils sont la cause d’innombrables accidents. Le 2 octobre 1131, rue de Malthois[1] à Paris, un cochon se jette entre les pattes d’un cheval qui se cabre et désarçonne son cavalier. Ce dernier se brise la tête. Il meurt le lendemain. Et ce cavalier n’est pas n’importe qui : c’est le Prince Philippe, fils ainé du Roi Louis le Gros.

L’affaire fait grand bruit. Un règlement interdit dès lors de laisser errer les porcs. Mais, malgré les interventions répétées de nombreux souverains, les cochons resteront dans les rues jusqu’au XVI° siècle. Ainsi, les Religieux de Saint-Antoine, en vertu du privilège de leur patron, qu’ordinairement on représente avec un cochon à ses côtés, prétendirent n’être point assujettis à l’interdiction et ils voulurent être les seuls à avoir le privilège de laisser vaguer leurs porcs par les rues de la capitale. Ils y parvinrent. Le bourreau fut même chargé d’y veiller. Tout cochon qui n’appartenait point aux Antonins, pouvait être saisi par lui, il le conduisait à l’Hôtel-Dieu, et avait droit d’en exiger la tête, ou de prendre cinq sous en argent. Les animaux pouvaient même être condamnés à la pendaison.

La viande de porc nécessitait des bouchers spécialisés. Ils ne s’organisent en corporation à Paris qu’en 1475 sous le nom de chaircuitiers-saulcissiers. Ils ne peuvent vendre que des viandes cuites. Il faudra attendre 1513, pour qu’ils puissent commercer la viande de porc non cuite.

Ma Chère Mona, ces cochons m’ont donné soif. Si vous attrapez deux verres, je vais pouvoir vous servir Le Petiot 2008, ce sauvignon de Touraine est remarquable. On attend plus que les rillettes pour finir la bouteille.


[1] Entre l’arcade de l’Hôtel-de-Ville et l’Eglise de Saint-Gervais

Porc franc

Voila qui donne faim !

Lorsqu’on parle de bacon, on pense systématiquement aux Anglais qui l’ajoutent à des œufs pour leur breakfast. La prononciation so british (bécone) s’est imposée à parti de 1895, date où ce mot arrive en français pour désigner de fines tranches de lard fumé.

Et pourtant, ce mot était employé dès le XII° siècle en France pour désigner « la viande de porc ». Et c’est en 1330, que le mot a emprunté le Channel dans les valises des Normands.

Nous ne devons pas oublier que, si aujourd’hui, la langue anglaise envahit notre langue, durant des siècles nombre de mots français ont été repris par les Anglais.

Dans des chroniques de voyages de l’époque, des auteurs étrangers soulignent le fait que les Français aiment beaucoup le porc. Et il est vrai qu’au moyen-âge, se déroulaient des festins où l’on ne servait que du cochon. Ces repas étaient nommés « baconiques ». Ainsi, à Paris, le Chapitre de Notre-Dame organise dès 1394 une foire aux jambons et au lard mêlant vente de viande et banquet en l’honneur de Monsieur porc. Cette foire devient très vite un des principaux rendez-vous d’achat de viande de porc. Au cours du XIX° siècle, la foire passe du Parvis Notre-Dame au Boulevard Bourbon, puis au Boulevard Lenoir. C’est le XX° siècle qui la chassera de la capitale vers l’Ile de Chatou. Mais ferraille et antiquités prendront vite le pas sur les charcutiers…

Mona pétit…

Y’a pas que des gens bons

Eugène Riffault fut un écrivain gastronome qui a laissé un ouvrage régulièrement réédité : Paris à Table. C’est de ce livre qu’est extrait cette anecdote.

pig-t16123En 1830, M. Harel était directeur de l’Odéon. Il habitait le même immeuble que l’actrice Mademoiselle Georges, et que Jules Janin, metteur en scène. Or, chacun des habitants de l’endroit élevait un animal : Janin avait une chèvre; Mlle Georges, un perroquet et M. Harel possédait un cochon, mais le plus aimable cochon qu’on pût voir ; aussi le gentil animal faisait-il les délices de son maître qu’il ne quittait jamais ; il le suivait à table et dans sa chambre à coucher ; c’était un cochon à porter des manchettes.

Un jour, Mademoiselle Georges et Monsieur Janin tinrent conseil ; tous deux admiraient le cochon ; ses grâces enfantines, son grognement mélodieux, sa chair rose sous ses soies blanches, sa forme ronde, appétissante et grassouillette. Il fut décidé qu’un tel animal était, par ses charmes mêmes, destiné au festin; Janin cita plusieurs passages de l’Odyssée, pour prouver que le cochon était, dans les temps héroïques, un manger de demi-dieux : immoler ce cochon, c’était faire un acte méritoire.

Le sacrifice du cochon fut résolu. M. Harel était absent ; on tua la victime.

Le directeur rentra avec un appétit d’enfer ; les répétitions l’avaient affamé. En arrivant au logis commun, il fut surpris de l’air de fête qui régnait dans la maison ; le couvert était mis et avait des attraits qui annonçaient l’intention de plaire.

On se mit à table ; des boudins bouillants et des saucisses dorées sur le gril accompagnaient le bœuf; M. Harel leur fit le meilleur accueil.

Ces mets, qu’il ne quitta qu’à regret, furent suivis par une entrée de ragoût qu’il fêta vigoureusement; une langue à la sauce piquante vint fort à propos pour rendre à son appétit une énergie qui pouvait faiblir. Enfin, un rôt de porc frais, merveilleusement coloré par le feu, fumant, onctueux et brillant, vint mettre le comble à sa félicité; tout était tendre, à miracle.

pieds-de-porc-confitsM. Harel, charmé, se félicitait de l’excellente chère qu’il avait faite, et, dans ses extases, il ne s’aperçut pas des sombres regards que Janin et Mademoiselle Georges échangeaient en dessous. Pour compléter son bonheur, M. Harel demanda, comme saint Antoine, à voir son compagnon chéri…. on hésita…. il eut un affreux soupçon… Une table toute chargée encore des débris de cette viande !… Il poussa un cri de détresse… on lui avoua, en tremblant, qu’il venait de manger son cochon… Il eut un instant d’abattement ; puis il dit avec tranquillité :

«Vraiment, je l’aimais bien ; mais jamais il ne m’a fait autant de plaisir qu’aujourd’hui. »

Bon Mona, c’est l’heure de se faire plaisir comme dirait le Sieur Harel. J’ouvre un flacon de Bergerac de chez Luc de Conti : château tour des gendres 2007. Un apéro blanc et frais aussi bon que vous, ma chère Mona.

Juger aux truies

A notre époque, en droit, c’est le propriétaire d’un animal qui est responsable de ses actes. En cas de morsure d’un chien, par exemple, c’est son maître qui sera poursuivi. Les autorités pourront faire abattre l’animal en cas de danger de récidive ou de maladie mais sans faire appel aux tribunaux.

Au Moyen Age, les animaux pouvaient être jugés et condamnés[1]. Les règles étaient les suivantes : si l’animal auteur d’un délit pouvait être saisi et amené devant un juge, il devait être traduit devant un tribunal criminel ordinaire. S’il ne pouvait être appréhendé (insectes par exemple), ils étaient jugés par le tribunal ecclésiastique. En effet que voulez-vous que fasse la justice ordinaire contre une invasion de mouches, de charançons, de chenilles, de limaces ? Elle est impuissante à sévir contre les dévastations causées par ces terribles fléaux; mais la justice religieuse, qui est en rapport avec la Divinité, saura bien atteindre les coupables.

Parlons d’abord des procès poursuivis contre les animaux devant la justice criminelle ordinaire. Comme on le voit encore dans certains pays, les porcs et les truies, au moyen âge, cochon-mangeurcouraient en liberté dans les rues des villages, et il arrivait souvent qu’ils agressent des enfants; alors on procédait directement contre ces animaux par voie criminelle. Voici quelle était la marche que suivait la procédure :
On incarcérait l’animal, c’est-à-dire le délinquant, dans la prison du lieu. Si après l’audition des témoins et au vu de leurs dépositions, le juge  rendait une sentence déclarant l’animal coupable d’homicide, et le condamnait définitivement à être étranglé et pendu par les deux pieds de derrière à un chêne ou aux fourches patibulaires, suivant la coutume du pays. Et du XIII° au XVI° siècle, la liste des porcins condamnés, souvent pour infanticide, est fort longue.

Des procès de taureaux, chevaux sont également relevés mais en moins grand nombre.

Plus étrange, on relate le procès en sorcellerie d’un coq car il a pondu un oeuf. L’animal fut condamné au bûcher. Il faut dire qu’on reprochait aux sorciers qui voulaient se mettre en rapport avec Satan d’employer les oeufs de coq. C’était sans doute parce qu’ils étaient réputés renfermer un serpent et que ces reptiles plaisent infiniment au diable…

Pour les invasions d’insectes qui ravageaient les récoltes, on s’adressait au tribunal de l’Eglise. Cette dernière avait une arme que la justice humaine n’avait pas : l’excommunication. Un défenseur des animaux est nommé. Au XVI° siècle,  Barthélemi de Chasseneuz a laissé un traité sur les procès d’animaux et sur son rôle d’avocat. Ses principaux clients furent des rats, insectes et vipères.

mouche1Ainsi à Beaune, une invasion de grosses mouches ravage le vignoble et s’attaque aux récoltes. Pour consoler les Beaunois du fléau qui les afflige, Chasseneuz leur apprend que « les insectes dont ils se plaignent ne sont rien en comparaison de ceux que l’on rencontre dans les Indes. Ces derniers n’ont pas moins de trois pieds de long; leurs jambes sont armées de dents, dont on fait des scies dans le pays. Souvent on les voit combattre entre eux avec les cornes qui surmontent leurs têtes. Le meilleur moyen de se délivrer de ce fléau de Dieu, c’est de payer exactement les dîmes et les redevances ecclésiastiques, et de faire promener autour du canton une femme les pieds nus durant ses menstrues. »

Les résultats mettent quelquefois du temps. A Beaune, par exemple, les insectes ne disparurent que 90 ans après leur excommunication…. En attendant, les braves gens ont payé leur dîme, c’est toujours çà de gagné…

Plus tard, on trouve encore, çà et là, quelques procès à l’encontre des animaux  Ainsi, le 28 brumaire an II (18 novembre 1793) fut exécuté, à Paris, le chien de l’invalide Saint-Prix, condamné à mort la veille, avec son maître, pour avoir trop bien défendu celui-ci contre les recherches de la police. Il y a mieux : en mai 1906, le tribunal de Delémont condamnait également à mort un chien complice de deux meurtriers qui s’en tirèrent eux avec la détention à perpétuité.

Est ce l’origine de « une vie de chien » ?


[1] Nombre de ces informations sont extraites de  « Procès contre les animaux » par Émile Agnel 1858