Flagrant débit…

Lépicurien vous a déjà parlé d’un restaurant parisien qui eut son heure de gloire au XIX° siècle : la Maison Dorée sur le Boulevard des Italiens. Une partie de ce bel établissement était réservé uniquement aux habitués triés sur le volet. On pouvait y croiser le Prince de Galles, des nobles désœuvrés et excentriques, Rossini, Balzac et nombre de fêtards et noceurs de la capitale.

Chaque client était connu, reconnu et chouchouté.

Tout près, se trouvait un autre restaurant tout aussi réputé, le Café Anglais. Ce sont bien entendu les mêmes clients qui passaient de l’un à l’autre et quelquefois au cours de la même soirée.

Ce fut le cas, un soir, en fin de service, un homme, titubant et le ventre rebondi, traversa du 20 Boulevard des Italiens[1] au 13[2]. Manifestement, le client était fait comme un rat. Arrivé, devant la porte, il éructa et bafouilla quelques mots. Le maître d’hôtel impassible le laissa rejoindre sa table habituelle. L’homme s’assit et fit savoir qu’il voulait manger. On lui amena la carte.

Mais, se levant aussi rapidement qu’un pet glisse sur une toile cirée, il fonça vers les toilettes, laissa portes grandes ouvertes et des bruits ne laissant aucun doute sur son activité du moment s’en échappèrent : le gars était malade et en train de rendre son dernier repas.

Le maître d’hôtel soupira en clignant les yeux et une moue lui barrait le visage :

Mon Dieu, mon Dieu, si ce n’est pas malheureux que ce Monsieur vienne déposer ici ce qu’il a mangé ailleurs…  

Mona plus faim…


[1] L’adresse du Café Anglais
[2] L’adresse de la Maison Dorée

La cuisine au leurre

Depuis 1998, on ne peut plus utiliser l’appellation de « boulanger » et l’enseigne de « boulangerie », si on ne pétrit pas la pâte et si on ne cuit pas le pain dans son fournil. Cette règlementation a eu le mérite de valoriser un métier d’artisan.
Si les chaines de vente de pains surgelés ont continué à s’étendre, au moins le consommateur sait qu’en rentrant chez un « boulanger », il achètera du pain  préparé et cuit sur place par un artisan-boulanger.

Par contre, nombre de restaurants ont supprimé le poste de cuisinier pour le remplacer par un réchauffeur de plats préparés par l’industrie agro-alimentaire et livrés sous vide, congelés… Et aucune règlementation ne leur interdit de continuer à s’appeler restaurant. N’est pas abusif ?

J’ai lu un livre qui date un peu, d’un certain Jean-Claude Marcel, restaurateur Lyonnais qui en 1990 écrivait déjà cela :

Un chef de produit du groupe Nestlé se félicite de la mutation des professionnels : « Les restaurateurs sont de plus en plus nombreux à faire de la cuisine d’assemblage et à intégrer ce genre de produits dans les éléments de base de leurs cuisines. » Et il faut bien dire que l’offre est à la mesure de la démission des artisans : sauces froides allégées à base de fromage blanc aromatisé (Elle et Vire), fonds de sauce surgelés (Bretagne surgel) ou déshydratés (Corol), œufs durs en rouleau (ABCD) et viandes précuites (DLG) sont d’un usage enfantin.
Prenons un exemple. Un cuisinier va acheter un lapin congelé, pré découpé et cuit dans un fond. Ille sort de son sachet en plastique et le passe au four à micro-ondes. Il ajoute des petits oignons surgelés, une sauce chasseur déshydratée, des champignons cuits et lardons conservés sous vide et, pour la poésie tout de même, un brin de persil frais. Et voilà « Le Lapin chasseur du chef, le plat du jour du marché! ».

Depuis, inutile de vous dire que les choses ne se sont pas améliorées. Pour que nous puissions continuer à manger dans des établissements qui fleurent bon les plats cuisinés sur place, je vais demander à Lépicurien de lancer une pétition : « pour que les restaurateurs soient reconnus pour leur cuisine maison et que les réchauffeurs de plats ne soient plus appelés restaurateurs. »

Mona envie de défendre les vrais cuistots….

Pour vous mettre en appétit, je vous invite à visionner ce documentaire un peu long certes, mais tellement instructif. Vous verrez, vous aurez envie de voir les deux autre parties et vous regarderez votre assiette avec plus d’attention.


(c+) : Restauration française: les pieds dans le plat 2.3

Mona’s

"Je vous attends..."

Il est des lieux mythiques. Cette adresse, au nom pourtant anglo-saxon, comme le Crazy-Horse, symbolise Paris. Cette table a vu défiler nombre de têtes couronnées, stars hollywoodiennes. Fortunes et artistes y ont festoyé depuis 1893… Je veux parler de Maxim’s.

Et pourtant, les débuts furent chaotiques. A cet emplacement, se tenait un glacier italien du nom d’Imoda. Le 14 juillet 1890, alors que la France garde en mémoire le siège de 1870 par les Prussiens, le glacier décore sa boutique de diverses oriflammes dont celui de la Prusse. Rapidement, une foule se réunit devant la boutique et la met à sac. Si j’osais, je dirais que le glacier ne se remit pas de ce bris de glace…

C’en est trop, dépité, il vend son affaire à un certain Gaillard. Ce dernier travaille dans un bar américain. Aussi pour suivre la mode, il anglicise son prénom : Maxime qui devient Maxim’s.

Mais il ne s’agit pas encore de cette célèbre enseigne inscrite à l’inventaire des Monuments Historiques. C’est un simple restaurant, mais, qui est remarqué par Irma de Montigny, une superbe parisienne qui y amène ses admirateurs (et ils sont nombreux).

Sur le site de Maxim’s on rapporte une anecdote qui reflète bien ce que fut cet endroit. À la fin des années cinquante, il fallut remplacer les célèbres banquettes rouges. En les démontant, les ouvriers découvrirent une fortune glissée entre le dossier et l’assise : des louis d’or, des bagues, des diamants, des rubis … tombés des poches des élégantes qui ne se donnaient pas la peine de les ramasser. Leurs protecteurs leur en redonnaient au moins autant le lendemain matin.

Mona pas de protecteur : une place à prendre.

Je te nommerai Mona's

Un cou décès


smolettTobias Smolett est un anglais qui fit voyage en France et en Italie au XVIII° siècle. Il décrit, chose rare pour l’époque, la nourriture du petit peuple. Trop souvent, nos ancêtres ne se nourrissaient que de bouillons de légumes et de pain. Et pour couronner le tout, le nombre de jours maigres les empêchaient d’y plonger le peu de morceaux de gras qu’ils conservaient précieusement.

Smollett
Tobias Smolett (1721-1771)

Pourtant, le bouillon de « chair et de volaille » passe pour le meilleur « restaurant » (au sens premier : nourriture qui restaure le plus son homme). N’imaginons pas que roboratif rime avec solide, pesant, grossier. Le restaurant peut être délicat et léger. Il est destiné, en priorité, aux affaiblis, aux convalescents, aux malades surtout. C’est la nourriture hospitalière par excellence.

A propos de bouillon, Smolett rapporte un souvenir pas piqué des hannetons que je reprends in extenso :

1672, 28 mai. Il y a la foule des grands jours sur la place Saint-Didier, à Avignon, pour assister à l’exécution du nommé Pierre du Fort. Tout annonce un beau spectacle : arrivé sur les lieux de son supplice, le criminel « donne toutes les marques d’un bon chrétien », fait ses adieux a ses amis, et prend le crucifix des mains du père Palasse. Puis il monte en haut de l’échelle de pendaison, et là, il baise le crucifix et en donne sa bénédiction à tout le peuple rassemblé. Le bourreau jette le condamné du haut de l’échelle. C’est alors que les choses se gâtent. L’échelle prévue est trop courte, le condamné se prend les pieds dans les barreaux, et le bourreau se démène vainement. Un bourreau maladroit devient barbare : le voilà qui saute sur les épaules du condamné, puis lui bourre l’estomac de coups de genou, aidé par son valet, par sa femme qui tire le criminel par les pieds en bas de la potence. Comme le supplice dure «plus d’un grand miserere », le public réagit et manifeste. Il retourne sa haine contre le bourreau et ses aides : huées, puis jets de pierres, enfin on se jette sur le bourreau, qu’on bat à mort et dont on traîne le corps jusqu’à l’université, à deux pas de là, on bat aussi à mort son valet. Quant au condamné, il devient l’objet de toutes les sollicitudes. On coupe la corde, on le dépend, on l’allonge sur un matelas lancé d’une fenêtre. Mais il est resté pendu longtemps, et on craint pour sa vie. Alors, «on demande à grands cris du vin pour le pendu, du bouillon avec de la chair même, quoique samedi ». (Le samedi est un jour maigre)

Le bouillon de viande fait son effet. Voilà l’homme requinqué, restauré, et finalement gracié. L’épisode offre l’occasion d’une belle méditation sur la versatilité des émotions que l’on peut observer à plus d’un spectacle d’exécution publique. Contentons-nous, ici, d’observer les merveilleux effets du bouillon de chair. Grâce à lui, le condamné à mort en a réchappé. Et personne ne s’en étonne :

« Le bouillon est un remède universel parmi le bon peuple de France pour qui ne saurait mourir après avoir avalé un bon bouillon. »

Bouillon, bouillon ? Pourquoi pas ? Mais avant, un coup de Beaujolais s’impose. Je vous propose, ma belle Mona, un Moulin à Vent d’Hubert Lapierre. Ce vin réconcilie avec le gamay des monts de Beaujeu.

Partir, c’est nourrir un peu

Paris-Pitoresque-1Les restaurants se développèrent à Paris essentiellement durant la Révolution de 1789. Nombre de nobles ayant quitté précipitamment  le territoire, laissaient leurs cuisiniers sans revenus. Et comme les députés siégeaient à des horaires qui ne leur permettaient pas de rentrer chez eux, les cuisiniers s’installèrent autour du Palais Royal. Sous l’Empire, nombre d’établissements de renom furent créés. Ils s’installèrent plutôt sur les Grands Boulevards pour être au plus près des théâtres et lieux de divertissement. Ainsi, La Maison Dorée était fréquentée par la bourgeoisie et les gens en vue. Les frères Verdier, propriétaires, réussissent à faire de ce lieu le centre de la vie culturelle et politique de la capitale, le cœur, l’esprit et l’estomac des Boulevards, c’est-à-dire de Paris. En effet, ils étaient, à l’époque, le symbole de la capitale. La maison était réputée notamment pour son boudin, ses pièces de viande grillées. On y mangeait la meilleure bouillabaisse de la capitale et le Chef Casimir Moisson y avait créé la timbale Nantua.

waiterUn soir, au cours du service, une altercation … un  soufflet … un silence glacial : un des garçons venait de gifler un client qui se montrait depuis bien longtemps désagréable et arrogant. Bien entendu, le serveur se savait congédié. Otant son tablier et s’adressant au client, devant la salle médusée, il lui dit :

« Avant de partir, je tiens à déclarer à… ‘Meu…sieur’, que depuis six mois,… je crache systématiquement dans tous ses plats. Bonsoir« 

Mona, je n’ai pas eu besoin de cracher dans les verres, ils étaient propres ; merci. Par contre la sauce Nantua me donne envie de boire un Marestel du Domaine Dupasquier. Ce savoyard nous donne des vins fabuleux à découvrir absolument.

Une note salée

additionAu sortir d’un restaurant, il vous arrive, Messieurs, de trouver la « note salée » même si, nous, pauvres femmes mangeons peu. Ce terme date du XVIII° siècle, du temps où le sel, frappé des droits de gabelle, était une denrée très onéreuse.

De nos jours, on parle aussi de « coup de fusil ». Cette expression date des années 1930, mais la comparaison entre clients et gibiers est ancienne. Au temps de Zola, les soldeurs qui arrivaient à vendre des « vieux rossignols » à un client de passage appelaient cette pratique « faire un coup de fusil ». Ces vieux rossignols étaient, à l’origine, des livres invendus et invendables que l’on rangeait dans les casiers du haut des librairies comme les rossignols qui aiment à se percher sur les plus hautes branches des arbres.

Dans les grands restaurants, on assiste parfois à un défilé de garçons de salle qui apportent à chaque convive sa commande dans une grande assiette surmontée d’une cloche en métal argenté. La mise en scène bien orchestrée (tous les plats sont dévoilés en même temps) ménage la surprise de la présentation.

Du temps des rois, on faisait de même. Mais c’était dans le but de garder le monarque « à couvert » (le protéger d’un empoisonnement). Les plats étaient toujours servis « à couvert » après avoir été goûtés sur la « crédence »[1] par l’officier de bouche. Par extension, on donnera les noms de couvert à tous les ustensiles placés sur la table devant chaque convive.

Mona dition, c’est pour vous


[1] La crédence était la table où l’on faisait l’épreuve des mets et des boissons à servir aux grands ; on les goûtait, avant de pouvoir les offrir aux convives en toute confiance. Le mot en est venu à désigner toute table où l’on dépose les plats et bouteilles nécessaires à un repas. Dans la liturgie, la crédence est la table où sont disposés calice, patènes et ciboires.