Paire de truffes

Napoléon avait le désir effréné d’engendrer une dynastie. N’ayant pu obtenir d’enfant de sa Joséphine bien-aimée, il décida  d’épouser Marie-Louise, fille de l’empereur d’Autriche et de tout faire pour s’assurer une descendance.

Or, depuis la Régence, on attribuait à la truffe, noire ou blanche, d’être à l’origine de rêves érotiques et de « développement de la personnalité ». De là cette anecdote, qui s’est glissée dans la légende napoléonienne et qui, authentique ou non, mérite d’être contée.

Comme le jour de son mariage avec Marie-Louise approchait, l’Empereur se souvint des bruits qui couraient sur l’un de ses soldats, un gaillard sans grande prestance physique et à peu près de sa taille, mais qui, paraît-il, engrossait sa femme à chaque permission. Ce petit homme était périgourdin et fin connaisseur de truffes.
De là, à attribuer à ces tubercules son extraordinaire fertilité, il n’y avait qu’un pas que Napoléon s’empressa de franchir. Il dépêcha le soldat vers ses foyers en lui promettant de lui octroyer une pension à la hauteur de ses capacités procréatrices s’il regagnait, sans tarder, la capitale avec un beau panier de truffes. Le soldat, qui n’en croyait pas ses oreilles, s’empressa d’obéir à cet ordre généreux. Le jour de son retour, veille du mariage avec Marie-Louise, Napoléon se nourrit presque exclusivement des tubercules que les anciens croyaient nés du tonnerre. Neuf mois plus tard, Marie-Louise accouchait du petit roi de Rome, dit l’Aiglon.
Les truffes avaient été à la hauteur de leur réputation… Vive la France.

Napoléon mange ses truffes sous l'oeil de Marie-Louise en pensant à Joséphine
Napoléon mange ses truffes sous l'oeil de Marie-Louise en pensant à Joséphine

Jean-Anthelme Brillat-Savarin, le roi des gastronomes, publia en 1825, un an avant sa mort, son oeuvre immortelle, La Physiologie du goût, ou méditations de gastronomie transcendante, dans laquelle on peut lire cette phrase: « Qui dit truffe prononce un grand mot qui veille des souvenirs érotiques gourmands chez le sexe portant jupes et des souvenirs gourmands érotiques chez le sexe portant barbe. »
Aujourd’hui encore, l’assertion reste on ne peut plus exacte. Mais Brillat-Savarin n’évoque pas les femmes à barbe. Un oubli, Anthelme ?

Ma chère Mona, pour accompagner ces quelques lamelles de truffes à la fleur de sel, je vous propose un Puligny-Montrachet la Truffière. Courez chercher deux verres….je vous prie.

Ventre affamé n’a pas d’oseille

depardieuVous savez que Gérard Depardieu aime les produits italiens. Il incarna notamment les pâtes Barilla.

Aussi quand, en 2005, la Fondation Ferrero parraine une exposition sur « Napoléon et le Piémont », c’est tout naturellement que  les Ferrero se rapprochent de Gérard Depardieu pour l’inauguration. Ils savent, bien sûr, que la vedette est chère. Ne dit-on pas que chaque campagne de pub « al dente » lui rapporte plus d’un million d’euros. Mais pour attirer la star, ils ont des arguments :

Alba est mondialement connue comme la capitale de la truffe blanche : « il tartuffo bianco » si parfumé et si rare, pour ses grands vins tels ceux de Barbaresco, Barrolo et Barbera. Et chaque enfant connaît le produit qui détient plus de 90% de son marché : la pâte à tartiner Nutella.

Or pour venir à Alba, Gérard Depardieu pose deux conditions : « faire un dîner pantagruélique de truffes blanches et recevoir son poids en Nutella ».
Même s’il dépasse le quintal, les organisateurs donnent leur accord sans hésiter.

Encore un joli coup pour cette société fondée juste après la guerre. Afin de réduire le prix de revient de sa pâte à nutellatartiner, en ces temps difficiles, Petro Ferrero reprend une vieille recette régionale du Piémontais qui incorpore moins de cacao et dans laquelle on ajoute des éclats de noisettes. La recette est toujours classée top secret et inégalée.

Tout d’abord exportée sous le nom de Supercrema, elle connaît un fort succès et change de nom en 1966 en mêlant anglais (nut : noisette) et italien.

Un pôt de Nutella c’est, pour tout un chacun, un moment d’enfance qui se prolonge.

Ah, les filles, je vais faire une entorse à mon régime. Chef, bien-aimé, est ce que je peux sortir pour acheter une gâterie ?

Votre Mona envie de douceur.

Ta truffe

moliere2Jean-Baptiste Poquelin, né à Pézenas, inventa son personnage fabuleux de Tartuffe à la faveur d’une dîner chez Madame de Sévigné. Ce soir là, Molière dînait chez la célèbre épistolière en compagnie d’un cardinal italien extrêmement jovial, spirituel à souhait et de surcroît fin gourmet. Fut servi à cette occasion un plat de truffes « à la serviette ». Et le cardinal de s’exclamer dans sa langue natale : « Tartuffo » , désignant ainsi les truffes odorantes que l’on venait de poser sur la table. L’expression sonna agréablement à l’oreille de Molière qui nota celle-ci au dos du menu. Le lendemain, il baptisa le héros de la pièce dont il avait entamé l’écriture quelques jours auparavant du nom de Tartuffe.

La pièce fit scandale au point d’être interdite car elle se voulait une satire véhémente en l’encontre des faux dévots, réduisant Tartuffe à un hypocrite, cupide et jouisseur, évoluant au sein d’une société dont Molière s’est appliqué à dépeindre les travers. Bref, outre les vertus aphrodisiaques que l’on prête complaisamment aux truffes, celles-ci sont manifestement sources de toutes les inspirations!

Truffes à la serviette

truffesPour savoir ce que sont ces truffes à la serviette, faisons appel à 2 grands gastronomes :

« Aimables friandises que ces truffes à la serviette (ainsi nommées parce qu’on les sert, cuites dans un excellent court-bouillon au vin blanc, sous une serviette pliée, à l’instar des oeufs à la coque et des marrons de Lyon) qui doivent être monstrueuses et éminemment parfumées. Il doit y en avoir au moins autant que de convives : il est rare que ceux-ci les mangent à table, parce qu’il est permis de les mettre dans ses poches, et les dames en donnent l’exemple. C’est le premier des aphrodisiaques, mais l’un des plus dispendieux entremets de ce bas monde ; car une assiette de truffes à la serviette, pour une table de 40 couverts, ne coûte guère moins de deux louis. »

Grimod de la Reynière – Manuel des Amphitryons 1808

« Lavez plusieurs fois vos truffes dans l’eau tiède ; brossez-les et mettez-les dans une casserole foncée de bardes de lard, avec du sel, une feuille de laurier, une bouteille de vin de Champagne ; on couvre hermétiquement la casserole, on fait bouillir une demi-heure, et l’on sert les truffes sur une serviette. M. le baron Thiry, gastronome distingué, veut qu’on substitue au champagne du vin de Collioure, et M. Bignon autre autorité, préfère le vin de Madère ou le Xérès ; comme on ne mange pas qu’une seule fois dans sa vie des truffes à la serviette, on peut essayer successivement de ces trois vins. Mais lorsqu’on veut conserver aux truffes leur saveur naturelle et sans mélange, on les enveloppe une à une dans du papier beurré et on les fait cuire dans une passoire à la vapeur de l’eau bouillante.
A tous ces apprêts il est permis de préférer la truffe sous la cendre. Enveloppez de papier beurré, et les mangez au beurre d’Isigny.

Alexandre Dumas – Grand Dictionnaire de Cuisine 1873