Juger aux truies

A notre époque, en droit, c’est le propriétaire d’un animal qui est responsable de ses actes. En cas de morsure d’un chien, par exemple, c’est son maître qui sera poursuivi. Les autorités pourront faire abattre l’animal en cas de danger de récidive ou de maladie mais sans faire appel aux tribunaux.

Au Moyen Age, les animaux pouvaient être jugés et condamnés[1]. Les règles étaient les suivantes : si l’animal auteur d’un délit pouvait être saisi et amené devant un juge, il devait être traduit devant un tribunal criminel ordinaire. S’il ne pouvait être appréhendé (insectes par exemple), ils étaient jugés par le tribunal ecclésiastique. En effet que voulez-vous que fasse la justice ordinaire contre une invasion de mouches, de charançons, de chenilles, de limaces ? Elle est impuissante à sévir contre les dévastations causées par ces terribles fléaux; mais la justice religieuse, qui est en rapport avec la Divinité, saura bien atteindre les coupables.

Parlons d’abord des procès poursuivis contre les animaux devant la justice criminelle ordinaire. Comme on le voit encore dans certains pays, les porcs et les truies, au moyen âge, cochon-mangeurcouraient en liberté dans les rues des villages, et il arrivait souvent qu’ils agressent des enfants; alors on procédait directement contre ces animaux par voie criminelle. Voici quelle était la marche que suivait la procédure :
On incarcérait l’animal, c’est-à-dire le délinquant, dans la prison du lieu. Si après l’audition des témoins et au vu de leurs dépositions, le juge  rendait une sentence déclarant l’animal coupable d’homicide, et le condamnait définitivement à être étranglé et pendu par les deux pieds de derrière à un chêne ou aux fourches patibulaires, suivant la coutume du pays. Et du XIII° au XVI° siècle, la liste des porcins condamnés, souvent pour infanticide, est fort longue.

Des procès de taureaux, chevaux sont également relevés mais en moins grand nombre.

Plus étrange, on relate le procès en sorcellerie d’un coq car il a pondu un oeuf. L’animal fut condamné au bûcher. Il faut dire qu’on reprochait aux sorciers qui voulaient se mettre en rapport avec Satan d’employer les oeufs de coq. C’était sans doute parce qu’ils étaient réputés renfermer un serpent et que ces reptiles plaisent infiniment au diable…

Pour les invasions d’insectes qui ravageaient les récoltes, on s’adressait au tribunal de l’Eglise. Cette dernière avait une arme que la justice humaine n’avait pas : l’excommunication. Un défenseur des animaux est nommé. Au XVI° siècle,  Barthélemi de Chasseneuz a laissé un traité sur les procès d’animaux et sur son rôle d’avocat. Ses principaux clients furent des rats, insectes et vipères.

mouche1Ainsi à Beaune, une invasion de grosses mouches ravage le vignoble et s’attaque aux récoltes. Pour consoler les Beaunois du fléau qui les afflige, Chasseneuz leur apprend que « les insectes dont ils se plaignent ne sont rien en comparaison de ceux que l’on rencontre dans les Indes. Ces derniers n’ont pas moins de trois pieds de long; leurs jambes sont armées de dents, dont on fait des scies dans le pays. Souvent on les voit combattre entre eux avec les cornes qui surmontent leurs têtes. Le meilleur moyen de se délivrer de ce fléau de Dieu, c’est de payer exactement les dîmes et les redevances ecclésiastiques, et de faire promener autour du canton une femme les pieds nus durant ses menstrues. »

Les résultats mettent quelquefois du temps. A Beaune, par exemple, les insectes ne disparurent que 90 ans après leur excommunication…. En attendant, les braves gens ont payé leur dîme, c’est toujours çà de gagné…

Plus tard, on trouve encore, çà et là, quelques procès à l’encontre des animaux  Ainsi, le 28 brumaire an II (18 novembre 1793) fut exécuté, à Paris, le chien de l’invalide Saint-Prix, condamné à mort la veille, avec son maître, pour avoir trop bien défendu celui-ci contre les recherches de la police. Il y a mieux : en mai 1906, le tribunal de Delémont condamnait également à mort un chien complice de deux meurtriers qui s’en tirèrent eux avec la détention à perpétuité.

Est ce l’origine de « une vie de chien » ?


[1] Nombre de ces informations sont extraites de  « Procès contre les animaux » par Émile Agnel 1858

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